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— Il va falloir éclaircir ce mystère ! dit Mathieu. On vous trouve où, prince ? Chez M. Vidal-Pellicorne ou chez Mme de Sommières ?

— Chez Mme de Sommières… Et si vous pouviez en savoir un peu plus sur la famille de Doña Isabel, je vous en serais infiniment reconnaissant parce que, moi, je ne sais rien !

— Vraiment rien ?

— À part que M. Vauxbrun les a rencontrés à Biarritz, absolument rien ! Cela dit, j’ai l’impression qu’il faudrait que vous songiez à dégager ! Voilà un arrivage !

En effet, deux taxis encombrés de bagages venaient de s’arrêter dans la visible intention de pénétrer dans la cour.

— On y va ! cria Mathieu en sautant dans sa voiture.

Il démarra. Adalbert embraya à sa suite mais stoppa quelques mètres plus loin pour observer l’entrée des arrivants. La silhouette arrogante de Miguel Olmedo occupait le premier véhicule, puis le cortège disparut. Derrière eux, le concierge referma le portail de l’hôtel.

Aldo avait beau savoir que c’était seulement momentané, il éprouva un bizarre pincement au cœur : le sentiment d’être définitivement retranché de son plus vieil ami, celui qui lui avait mis le pied à l’étrier lorsque, à son retour de la guerre, il avait décidé de transformer son palais vénitien en magasin d’antiquités. Et c’était douloureux…

2

DANS LE BROUILLARD…

— Pouvez-vous m’en dire davantage ?

Tandis que les invités de Mme de Sommières prenaient congé de leur hôtesse, Aldo avait emmené Mr Bailey dans le petit salon spiritualisé par deux bibliothèques d’ébène où il avait demandé qu’on leur apporte un supplément de café et une fine Napoléon dont il savait l’Anglais friand… Il fallait voir avec quelle sollicitude il chauffait entre ses mains le ballon de cristal.

— Davantage sur quoi ?

— Sur tout ! fit Morosini avec un geste d’impuissance. Et d’abord sur ce mariage dont je ne sais strictement rien. En dehors de sa lettre d’invitation reçue il y a environ un mois, je n’ai pu obtenir aucune explication. C’est à peine si nous avons échangé trois paroles en gare de Lyon et à la mairie ! Gilles ne se ressemblait plus. Il était une sorte de litanie vivante à la beauté intangible de sa fiancée et à l’exception des hautes vertus de la demoiselle, tout ce qu’il a consenti à m’apprendre est qu’il l’a rencontrée à Biarritz… et aussi qu’il a acheté un château ! C’est maigre, non ?

Le vieil Anglais reposa son verre, toussota et, les coudes appuyés sur les bras de son fauteuil, joignit les bouts de ses doigts tandis que ses traits distingués s’accordaient un semblant de grimace, comme s’il venait d’absorber une potion amère. Ce qui n’était évidemment pas le cas.

— Si, soupira-t-il. Et vous me voyez terriblement embarrassé parce que je crains de vous décevoir. Je n’en sais pas beaucoup plus que vous… sinon qu’à l’automne dernier M. Vauxbrun s’est rendu là-bas à l’occasion de la vente d’un domaine, qu’au lieu de deux ou trois jours il y est resté trois semaines, qu’à son retour il ne s’était pas contenté d’acheter une ou plusieurs « pièces » mais le château entier, qu’il allait se marier sous peu… et qu’il n’était plus le même homme…

— Pouvez-vous expliquer ?

— On aurait dit qu’il avait vu je ne sais quelle lumière. Saint Paul arrivant à Damas devait avoir ce genre de physionomie...

— Après sa rencontre sur le chemin, saint Paul était aveugle et l’est resté quelques jours, corrigea doucement Aldo.

— M. Vauxbrun avait dépassé ce stade-là. Il rayonnait positivement mais ne s’occupait plus guère de ses affaires. Quand il n’était pas au téléphone, il écrivait de longues… je dirais même d’interminables lettres à sa fiancée. Ou encore, il écumait les magasins à la recherche de jolies choses à lui offrir. Chères de préférence ! Et je ne peux vous cacher plus longtemps que je suis inquiet.

— Ses affaires en souffrent ?

— Pas vraiment. Quand un client important se présentait, il savait toujours s’en occuper. Ce n’est qu’à ces seuls moments qu’il redevenait ce qu’il était. Pour le reste, je suffis amplement. En outre, nous disposons d’une réserve considérable… mais j’avoue que je serais plus heureux si cette folie d’achats se calmait au moins un peu !

— Où était prévu le voyage de noces ?

— En Méditerranée. On a loué un yacht qui attend dans le port de Monte-Carlo…

— Peste ! émit Morosini après un petit sifflement. Il épouserait une princesse royale qu’il ne se conduirait pas autrement !

— C’en est une pour lui. Une infante !…

— Mais peut-être désargentée ? Si j’ai bien compris, il n’y a pas eu de contrat de mariage : ce qui signifie pas de dot !

— Assurément, mais la fortune de la famille – si fortune il y a –, c’est la grand-mère qui la posséderait. Elle consisterait surtout en terres dans je ne sais plus quelle province. Une de ces haciendas vastes comme des États. L’oncle Pedro serait, lui aussi, en possession de biens dont hériterait son fils…

— Autrement dit, Isabel a ce que l’on appelle des « espérances » mais, dans la circonstance, j’espère que ces Crésus ont fait l’effort élémentaire d’un beau cadeau ?

Richard Bailey regarda Morosini d’un œil à la fois curieux et ironique :

— Vous n’avez pas l’air d’y croire beaucoup, à ces richesses ?

— Disons que j’ai des doutes. Je trouve bizarre que des gens aussi riches se hâtent de quitter leur hôtel pour s’installer chez un homme qui est sans doute leur petit gendre, leur neveu et leur cousin aux yeux de la loi française mais ne leur est rien devant Dieu. Et j’ai toujours entendu dire que, pour les peuples hispaniques, c’était le plus important. Ils devaient garder la maison pendant le voyage, comme si les domestiques de Vauxbrun n’y suffisaient pas…

— De toute façon, émit Adalbert qui venait d’entrer dans le salon depuis un moment et avait donc entendu, je crois qu’il est plus que temps d’en référer à la police ! Comme tu le dis si justement, tout cela est pour le moins bizarre…

— On y va de ce pas ! conclut Aldo en se levant.

— Essaye de prendre le temps de te changer ! conseilla Mme de Sommières, qui venait d’arriver. Et vous aussi, Adalbert ! Je vous vois mal débarquant quai des Orfèvres en jaquette et chapeau haut de forme !

Le commissaire divisionnaire Langlois était sans doute l’homme le plus élégant de toutes les polices de France, même si, depuis un sérieux accident d’auto, il usait d’une canne à pommeau d’écaille qu’il réussissait à convertir en accessoire de mode tant il en jouait avec naturel. Grand, mince, le cheveu poivre et sel, le regard gris, c’était un cerveau et aussi un fidèle serviteur d’une loi dont il lui arrivait parfois d’arrondir un peu les angles quand sa stricte application lui semblait injuste. Au fil des années, il était devenu pour Morosini et Vidal-Pellicorne un véritable ami, même s’il lui arrivait d’observer d’un œil prudent mais toujours intéressé les activités des deux compères.

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