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Quand un planton les introduisit dans son bureau, il les accueillit d’un :

— Ne perdez pas de temps à m’expliquer ce qui vous amène ! Je le sais. M. Vauxbrun a disparu.

— Comment est-ce possible ? demanda Morosini en lui serrant la main.

— Les journaux n’ont encore rien imprimé ? fit Adalbert, même jeu.

— Pour un événement mondain de cette importance qui déplace en général des personnalités et par conséquent un certain nombre de parures tentatrices, j’ai l’habitude d’envoyer un ou deux observateurs discrets. C’était d’autant plus le cas, aujourd’hui, qu’il s’agit d’un de vos amis et que vous étiez présents.

— Vous nous considérez comme à ce point dangereux ?

Le commissaire eut un demi-sourire :

— Vous personnellement, non, mais ce qui est curieux c’est votre étrange faculté à attirer les histoires sombres, compliquées, voire les catastrophes.

— Si catastrophe il y a, c’est bien Vauxbrun qui, cette fois, s’en est chargé. Ce mariage tellement disproportionné, si dissemblable ! Enfin, ce n’est pas le moment d’ergoter et, puisque vous êtes au courant : avez-vous des nouvelles, commissaire ?

Langlois n’eut pas le loisir de répondre. Un coup bref, frappé à sa porte aussitôt ouverte, et un jeune homme d’environ vingt-cinq ans faisait irruption en claironnant :

— Cela se confirme ! C’est effectivement un enlèvement ! Il a eu lieu rue de Poitiers et…

Constatant la présence de visiteurs il s’interrompit net :

— Oh pardon ! Je ne savais pas…

— Vous ne pouviez pas savoir. Inspecteur Lecoq, Messieurs ! Il était ce matin à Sainte-Clotilde. Lecoq, voici le prince Morosini et M. Vidal-Pellicorne que vous avez dû remarquer à l’église. À présent, parlez !

— C’est le même processus que pour le général Koutiepov (2)l’an passé, à cette différence près que c’est le contraire.

— Si vous essayiez d’être clair ? soupira Langlois.

L’inspecteur Lecoq possédait encore la juvénile faculté de rougir mais ne se troubla pas :

— C’est juste pour renforcer l’impression, Monsieur ! Le général, donc, était à pied et une voiture s’est arrêtée le temps de l’y jeter. Là, M. Vauxbrun était en voiture. Trois hommes qui bavardaient sur le trottoir lui ont barré le chemin, ont assommé le chauffeur, dont l’un d’eux a pris la place, pendant que les autres maîtrisaient la victime…

— Vous avez de ces mots ! ronchonna Adalbert – ce qui lui valut un regard sévère du jeune policier :

— Quand on enlève quelqu’un, c’est rarement pour l’emmener au bal ! (Puis, revenant à son chef :) Le concierge du 5 balayait devant sa porte. Il a pu enregistrer la marque de la voiture mais n’a pas pensé au numéro !

— C’est sans importance puisqu’il s’agit d’une voiture de grande remise. Il suffira d’appeler le garage de la location mais il probable qu’on la retrouvera abandonnée quelque part. Faites le nécessaire pour que les patrouilles soient averties ! Dans tous les commissariats de Paris et de banlieue !

Lecoq sortit avec un regret si visible qu’il amusa Langlois :

— C’est un excellent élément mais il a encore besoin d’être tenu en bride. Revenons à ce qui nous occupe ! Que pouvez-vous m’apprendre ?

— Pas grand-chose sinon qu’à peine sortis de l’église, la mariée et les siens se sont installés rue de Lille.

— Quoi ? Tout de suite ?

— Ils n’ont même pas dû prendre le temps de respirer. Tandis que le beau cousin Miguel galopait au Ritz régler la note et récupérer les bagages, le reste de la famille déjeunait confortablement, lâcha Aldo, rancunier. Ils sont peut-être dans leur droit mais côté élégance j’ai déjà vu mieux !

— Moi aussi, mais c’est peut-être de bonne guerre. Sans leur présence, je vous connais suffisamment pour savoir que vous auriez passé l’hôtel au peigne fin.

— Sans aucun doute. Malheureusement, on s’est dépêché de nous faire comprendre que nous étions indésirables. Une attitude, convenez-en, étrange… à moins que ces gens ne soient impliqués dans l’enlèvement de Vauxbrun ?

L’idée venait de lui traverser l’esprit, et elle lui semblait si énorme qu’il pensa une seconde s’en excuser. Déjà Adalbert prenait le relais :

— Ce qui expliquerait bien des choses. Tu pourrais avoir raison…

— Un instant, voulez-vous ? fit Langlois sur le mode apaisant. N’importe comment, on ne saurait refuser de répondre aux questions de la police judiciaire comme cela a été le cas pour vous. Vous avez porté plainte ; désormais l’enquête est lancée et c’est à moi et à mes hommes de jouer. Je vais rue de Lille dès maintenant avec une commission rogatoire. Je vous tiendrai au courant… En attendant, essayez de ne pas trop vous tourmenter ! ajouta-t-il plus doucement. Je passerai ce soir chez Mme de Sommières… Ah, pendant que j’y pense : savez-vous qui est le notaire de votre ami ?

— Maître Pierre Baud, boulevard Latour-Maubourg mais je ne me souviens plus du numéro. Peut-être le 7.

— Vous ne le connaissez pas personnellement ?

— Non… Puis-je demander pourquoi vous voulez le voir ? Gilles n’est pas encore…

Il n’alla pas plus loin, reculant devant le terme comme Adalbert renâclait tout à l’heure devant le mot victime.

— Un peu de calme ! Je veux seulement savoir si votre ami a changé son testament depuis… mettons six mois.

Ce fut avec soulagement qu’Aldo retrouva la rue Alfred-de-Vigny et l’atmosphère si particulière qu’y entretenaient Tante Amélie, Marie-Angéline, et leurs vieux serviteurs sur lesquels régnaient Cyprien, l’admirable maître d’hôtel, et la fabuleuse Eulalie, cordon-bleu susceptible, voire atrabilaire, que la moindre seconde de retard dans la dégustation de ses soufflés mettait hors d’elle. Il y avait là un vrai foyer, aussi chaleureux que celui de son palais vénitien, et une manière de QG de campagne grâce aux innombrables relations de la marquise et aux talents aussi multiples que protéiformes de Plan-Crépin, descendante de croisés aventureux et lectrice inconditionnelle de sir Conan Doyle et de son inimitable Sherlock Holmes. En outre, Vidal-Pellicorne habitait rue Jouffroy, de l’autre côté du parc Monceau, et y venait en voisin.

Comme d’habitude, les deux hommes trouvèrent Mme de Sommières et sa « suivante » dans le joli jardin d’hiver où la marquise se tenait l’après-midi, au milieu d’un fouillis de plantes plus ou moins fleuries, de meubles en rotin laqué blanc et garnis de coussins en chintz aux couleurs tendres, le tout englobé par une vaste cage de vitraux à sujets japonais représentant la cueillette du thé, des bouquets de roseaux et quelques geishas coiffées de ce qui semblait être d’énormes pelotes de laine noire piquées d’aiguilles à tricoter de couleurs variées. La vieille dame y occupait une sorte de trône en rotin dont le haut dossier en éventail lui conférait une aura blanche du plus bel effet. Elle y dictait son abondant courrier, y recevait ses intimes et, à partir de cinq heures, se faisait servir une ou deux coupes de champagne destinées à remplacer  le fiveo’ clock teamis à la mode par les Anglais et qu’elle traitait de « tisane infâme ».

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