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— Je n’en pensais pas autant ! marmotta celle-ci en rougissant. Et je n’ai pas envie que nous reprenions nos relations avec elle !

— Bien ! fit Aldo. Dans ce cas, il ne nous reste plus que le neveu de la cuisinière de la princesse Damiani. Où habite-t-elle ?

— La princesse ? Avenue de Messine. Au 9, je crois… Vous voulez y aller ?

— Pourquoi pas ? fit Mme de Sommières. Je ne connais pas cette Damiani. Je sais seulement qu’elle est déjà âgée mais elle ne doit pas être bâtie autrement que les autres et tu devrais lui plaire…

En fait, Aldo n’eut pas à user de son charme : la princesse s’était absentée pour quelques jours et il ne fut pas difficile d’obtenir un bref entretien avec Eugénie Guenon, la cuisinière qui avait promis l’une de ses recettes à Mlle du Plan-Crépin malheureusement souffrante !

Ladite Eugénie se montra enchantée et, en trois coups de téléphone, l’affaire fut réglée. Le neveu Gaston avait demandé chez Vauxbrun si la place était toujours vacante et, sur l’affirmative, prit rendez-vous pour mener personnellement son candidat aux environs de six heures… Cela laissait suffisamment de temps pour expliquer à Romuald le rôle qu’il aurait à jouer.

En attendant qu’Adalbert l’amène vers le milieu de l’après-midi, Aldo s’installa dans la bibliothèque avec du papier, des crayons, un stylo… et Marie-Angéline. Sachant qu’elle dessinait comme un ange, il lui fit tracer les plans des différentes pièces du petit hôtel de son ami. Lui-même se chargeant de dresser la liste et d’indiquer l’emplacement des meubles et objets qui s’y trouvaient. Peu nombreux mais de très grande qualité et dignes d’un musée. Certains provenaient même de Versailles, des Trianons ou de Fontainebleau. Romuald aurait à s’y référer pour repérer ce qui pourrait avoir disparu.

Ils en terminaient quand Plan-Crépin remarqua :

— Vous n’oubliez pas quelque chose ?

— Non. Je n’ai pas l’impression…

— Et les cadeaux de mariage ? C’est pourtant chez Vauxbrun qu’ils étaient réunis afin que les invités puissent les admirer au cours de la réception ?

— Sacrebleu ! Vous avez raison, je n’y pensais pas…

— Qu’avez-vous offert vous-même ? Cela m’étonnerait que ce soit un tire-bouchon ou une pince à sucre ?

— Les deux Guardi qui étaient dans le salon des laques… Gilles en avait envie depuis longtemps !

— Ben voyons !

— Et Tante Amélie ?

— Une boîte à poudre en ivoire décorée d’une miniature d’Isabey. Quant aux autres invités, c’est difficile à savoir !

— À y réfléchir, il serait idiot d’avoir piqué dans les cadeaux ! Le marié à qui ils étaient offerts ayant disparu, le bon usage voudrait qu’ils soient retournés aux donateurs ! Au fait, vous me donnez une idée : si l’absence de Gilles se prolonge, j’irai moi-même récupérer mes tableaux…

Plan-Crépin éclata de rire :

— Vous vous voyez vraiment dans ce rôle ? Vous, le prince Morosini, dont les ancêtres…

— Ah, non ! La paix avec mes ancêtres… et les vôtres en passant ! Je sais qu’étant devenue Mme Vauxbrun, la belle Isabel se retrouve propriétaire de compte à demi avec son époux. Ce qui ne veut pas dire qu’elle puisse disposer des biens communs sans son accord. Et moi j’avais de la tendresse pour mes tableaux. Ce sont des choses dont on ne se sépare pas volontiers, sauf pour quelqu’un qu’on estime ou que l’on aime, et je n’éprouve aucun de ces deux sentiments pour cette jeune femme qui m’a l’air de n’être rien d’autre qu’une obéissante poupée à la limite du zombie !

— D’accord, mais depuis que vous avez boxé Don Pedro et que le maître d’hôtel s’est évaporé, vous auriez du mal à vous faire admettre ! Tout ce que l’on puisse faire pour le moment est d’ajouter les Guardi à la liste…

Ce que l’on fit.

Pendant ce temps, Mme de Sommières n’était pas restée inactive. Faisant fi de ses répugnances, de celles de sa fidèle lectrice et de son horreur du téléphone, elle avait pris contact avec sa « vieille amie » Casa Grande et, au prix d’un énorme mensonge, obtenu d’elle pour Romuald Dupuy – qui « avait servi jadis à l’ambassade au temps de son cher époux et qui, alors, l’admirait tant ! » – un certificat sur papier armorié en bonne et due forme, qu’elle envoya prendre par Lucien, son chauffeur, armé d’un bouquet de fleurs. Ce qui fut d’autant plus facile que la chère âme, sa contemporaine, n’ayant plus, et de loin, les idées aussi claires qu’elle-même, vivait surtout entre ses oraisons et les souvenirs de son défunt époux et de ce qu’elle appelait « son beau temps », et que, lesdits souvenirs devenus légèrement brumeux, elle ne vit aucun inconvénient à y héberger un maître d’hôtel de plus !

Quand, avant de se rendre rue de Lille, Romuald vint se présenter chez la marquise, celle-ci qui ne l’avait jamais vu se trouva confondue par sa ressemblance avec son jumeau. Si en temps normal il se déplaçait en moto, vêtu plus en jardinier qu’en gentleman, il offrait à présent l’image du parfait maître d’hôtel : pardessus noir, chapeau melon, pantalon rayé, chaussures admirablement cirées et gants gris. L’ensemble emprunté à son frère sans le moindre problème.

— Eh bien, apprécia Aldo, si ces gens ne sont pas satisfaits de vous au premier regard, c’est qu’ils sont diantrement difficiles. Un détail, cependant ! Entendez-vous un peu l’espagnol ?

— Je le parle, Excellence ! L’anglais également… comme mon frère !

— À merveille ! Autre chose : comment aurons-nous de vos nouvelles ?

— Je vais passer prendre langue avec ce Gaston Guenon à qui, si ses dispositions sont bonnes envers nous…

— Aucun doute là-dessus ! Sa tante, cordon-bleu chez la princesse Damiani, en répond !

— Je pourrais peut-être lui offrir… disons, une récompense ?

— Sans hésitation. Vous avez crédit ouvert, Romuald !

— Alors, je pense établir une sorte de boîte aux lettres, par le jardin, par exemple, et, en cas d’information urgente, je pourrais le prévenir… en jouant de la flûte !

— Vous jouez de la flûte ? émit Plan-Crépin.

— Pas trop mal, Mademoiselle ! Vous n’imaginez pas à quel point sa douce musique est bénéfique pour le jardin ! Les fleurs en raffolent, et je ne crains pas d’affirmer qu’elle obtient des asperges un bien meilleur rendement.

— Mais alors, votre jardin va souffrir de votre absence ?

— En hiver, la nature sommeille et si le temps se radoucissait, mon voisin y veillerait. Je l’ai converti à la flûte et il y a pris plaisir. En été, il nous arrive de jouer en duo !

— Reste à savoir, dit Mme de Sommières, si vos nouveaux patrons y seront aussi sensibles que vos asperges ?

— Je m’assurerai qu’ils ne sont pas contre. D’ailleurs, il ne saurait être question de jouer la nuit, sauf si mes quartiers sont suffisamment éloignés de leurs oreilles. Et puis il y aura toujours le jardin !

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