Il n’y avait rien à ajouter. Aldo lui remit le fruit de son travail avec Marie-Angéline, la lettre de Casa Grande et de l’argent pour ses premiers frais. Après quoi, Romuald salua, reprit sa valise laissée dans le vestibule et s’en alla chercher un taxi.
— Ce garçon est parfait ! soupira la marquise. On n’imagine pas à le voir ainsi, ce petit côté poétique. Est-ce que le « Théobald » d’Adalbert le possède aussi ?
— Je ne crois pas. On le saurait. Théobald, lui, a embrassé les goûts de son patron et son dada, c’est l’Égypte. Même de vrais jumeaux peuvent cultiver des différences !…
— Eh bien, il ne nous reste plus qu’à attendre ! Et à espérer !
— On saura très vite s’il est accepté. Au cas où ça ne marcherait pas, il rentre tout droit chez Adalbert… et il faudra trouver autre chose !
Ce qui n’était pas évident ! Cependant le jour s’acheva sans que Romuald eût rejoint dans l’ordre : le domicile d’Adalbert, sa moto et sa maison d’Argenteuil.
Le premier message arriva le surlendemain. Romuald semblait convenir. Surtout à la vieille dame qui appréciait son allure compassée et le respect qu’il lui témoignait. La jeune l’avait regardé sans autre commentaire. On ne la voyait qu’aux repas et elle ne quittait pas sa chambre… Côté Don Pedro, le nouveau venu se savait à l’étude et faisait en sorte de ne pas le remarquer. Le jeune Don Miguel manquait toujours à l’appel… comme les deux Fragonard de la chambre de M. Vauxbrun indiqués sur la liste et remplacés par de petits tableaux sans valeur. Parti aussi le poignard mongol qui servait de coupe-papier à l’antiquaire : sa garde et son fourreau d’or sertissaient trois splendides turquoises dans des entrelacs d’or semés de diamants. Une vague copie arabe en cuivre jaune le remplaçait. Côté cadeaux de mariage, ils se trouvaient toujours dans le salon où ils avaient été exposés et les Guardi étaient bien là.
— Les salopards ont bon goût ! gronda Aldo. Les deux sanguines période romaine de Fragonard valent une fortune, et que dire du poignard mongol ! Et on n’a pas lambiné ! À ce train, dans trois mois la maison sera vidée de tous ses trésors !
— Le plus inquiétant, observa Tante Amélie, c’est que ces gens agissent comme s’ils avaient la certitude que ce malheureux Vauxbrun ne viendra pas leur demander de comptes…
— C’est aussi ce que je pensais, reprit Adalbert. Il faudrait faire quelque chose. Mais quoi ?
— Demander son avis à Langlois, répondit Aldo en filant vers le vestibule pour y prendre ses vêtements de sortie. Ta viens avec moi ?
— Cette question !
Occupé à signer le contenu d’un épais parapheur, le policier ne les fit attendre que cinq minutes. Son accueil fut aimable mais il était visiblement soucieux :
— Vous venez chercher des nouvelles ou vous en apportez ?
— On en apporte, mais si vous en avez ?
— Une qui ne va pas vous plaire : sur la chaussure que vous avez trouvée, il n’y a que les empreintes de M. Vauxbrun, laissant entendre qu’il l’aura jetée lui-même. En outre, aucune trace, aucun fil conducteur n’a pu être retrouvé autour de la mare et dans les environs. C’est comme si lui et ses ravisseurs s’étaient soudain volatilisés ! À vous maintenant.
Trop inquiet pour songer à cacher quoi que ce soit, Aldo relata leur parcours personnel depuis la messe de six heures à Saint-Augustin jusqu’au premier rapport de Romuald. Quand il eut fini, Langlois ne put retenir un sourire :
— Je sais depuis longtemps qu’avec vous deux on peut s’attendre à tout mais je dois dire qu’à votre manière vous êtes plutôt efficaces. Loin de moi l’idée de refuser votre aide mais, je vous en supplie, faites attention. Vous êtes chargé de famille, Morosini, une famille qui, si j’ai bien compris, est devenue la vôtre, Vidal-Pellicorne ? Je crains que cette histoire tordue ne sente de plus en plus mauvais !
— C’est aussi notre sentiment, fit Aldo, mais je ne peux pas me désintéresser du sort d’un ami aussi cher que Gilles Vauxbrun… Je m’efforce de croire qu’il est toujours vivant mais quand je vois ces intrus commencer à se servir de sa maison et y prélever des objets de grande valeur, j’avoue que je doute de plus en plus !
— Difficile de vous donner tort. Malheureusement cette femme est dans son droit. Dûment mariée et sans contrat, elle peut vider l’hôtel en entier sans avoir à se justifier !
— Et on ne peut rien faire, vraiment rien ?
— Je peux faire surveiller Drouot et les principale salles des ventes, sans oublier Londres, Bruxelles, Genève et autres. Si l’un des objets que vous allez décrire apparaissait, on pourrait savoir qui met en vente. Et si ce trafic continuait et si certains d’entre eux provenaient de palais nationaux, il serait possible de mettre opposition au nom du patrimoine français.
— Et les cadeaux de mariage, grogna Adalbert, on en fait quoi ?
— Il y a là un point de droit que je ne connais pas. Il faut avouer que le cas n’est pas courant mais l’élégance voudrait que ceux offerts à un marié dont on ne sait trop s’il est mort ou vivant fussent restitués.
— L’élégance !… Avec ce genre de personnages ! grinça Aldo. Au fait, commissaire, avez-vous vu son notaire ?
— Je vous avais dit que j’irais. Il y a effectivement un testament mais on ne pourra l’ouvrir que sept ans après la déclaration de disparition. Sauf, bien entendu, si l’on retrouve le corps.
— A-t-il pu vous dire au moins s’il est récent ? J’entends, si Vauxbrun l’a renouvelé depuis… disons un an ! Pour ce qu’il m’en a dit, il a dû rencontrer Doña Isabel il y a un peu plus de six mois.
— Non, de ce côté-là, rien n’a bougé. Ce qui ne veut pas dire qu’un autre n’ait pas été établi depuis, extorqué vi coactusdevant un notaire complice et deux témoins…
— Peut-être sans trop de peine ! Il avait tellement changé !
— Sans doute. Pourtant, Maître Baud a bien voulu me confier qu’il ne croyait pas à un autre testament…
— Pour quelle raison ?
— Cela, il n’avait pas le droit de le dire.
— A-t-il des renseignements au sujet de ce château qui doit se situer aux environs de Biarritz, qui a motivé son départ pour acheter quelques meubles lors de la vente et dont il a acquis les murs, le contenant et le terrain ?
— Oui, le château d’Urgarrain dans l’arrière-pays, mais ce domaine n’est pas entré dans la communauté.
— Doña Isabel n’est pas la propriétaire ?
— Non, c’est sa grand-mère, Doña Luisa. Le château a été jadis la propriété de sa famille et c’est en le lui offrant que Vauxbrun s’est attiré le cœur d’Isabel. De toute façon, celle-ci en est l’héritière directe…
L’information tomba dans un silence consterné. Ce fut Langlois qui le brisa après quelques secondes :
— Que pensez-vous faire à présent ?
Aldo haussa les épaules :
— Continuer d’attendre les billets de Romuald Dupuy dont on vous tiendra au courant. Mais ne pourriez-vous essayer d’en savoir davantage sur ces Mexicains qui nous sont tombés dessus comme la foudre ? Sait-on seulement d’où ils viennent ?