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La nuit cacha le sourire goguenard de Marie-Angéline qui se garda prudemment de demander de quand datait sa dernière escalade de pyramide.

— Bah, fit-elle, bonne fille, ça ne s’oublie pas si facilement !

— À condition de ne pas avoir de kilos en trop.

— Allons donc ! Vous êtes mince comme un saule !

— Et en plus elle se f… de moi !

Kilos ou pas, ils se retrouvèrent rapidement assis côte à côte sur le faîte du mur, heureusement dépourvu de ces horreurs du genre tessons de bouteilles ou griffes de fer dont les gens particulièrement méfiants ornent leurs clôtures. De ce perchoir, leurs yeux s’étant accoutumés à l’obscurité, ils eurent, au-delà d’un mince rideau d’arbres, une vue d’ensemble du château posé comme un défi au sommet d’une pente herbue, où celui qui s’aventurait devait être visible de n’importe quel endroit. Pas le moindre bosquet, pas le moindre buisson permettant une tentative d’approche à couvert.

— Aucun moyen d’avancer sans risquer d’être repéré, grogna Adalbert.

— De qui ? On jurerait qu’il n’y a pas un chat. Tout est bouclé, cadenassé sans doute. Quant aux ouvertures, à l’exception des étroites fenêtres des échauguettes, il n’y en a pas sur cette façade latérale. Elles sont toutes sur le devant ou l’arrière. Mais je pense qu’on doit pouvoir atteindre la maison en piquant droit sur ce flanc gauche. Ce serait bien le diable s’il y avait des yeux dans chacune de ces tourelles. Arrivés là, on peut en rasant les murs et en se baissant à l’endroit des fenêtres faire le tour afin d’examiner l’entrée – celle des cuisines j’imagine – qui ne peut manquer d’exister…

— Et une fois à destination, on fait quoi ? demanda Adalbert, sarcastique. On force la serrure, on entre et on dit « bonsoir la compagnie » ?

— Vous me décevez, Adalbert. Je vous croyais plus imaginatif. Dans le matériel de campagne que vous emportez généralement avec vous, y aurait-il un morceau de cire ?

— C’est vrai, j’en ai toujours un !

— Alors c’est le moment ou jamais de l’employer : on cherche l’entrée des cuisines, on prend une empreinte de la serrure… et on revient un soir prochain !

— Limpide ! On va essayer !

Il se laissa tomber du mur sans se servir de la corde, puis tendit les bras à sa compagne pour l’aider à descendre, mais elle venait à peine de toucher terre quand une sorte de ronflement se fit entendre et, aussitôt, deux énormes chiens noirs surgirent de derrière le château et se ruèrent vers les deux imprudents en aboyant furieusement.

— Grimpez ! ordonna Adalbert en saisissant Marie-Angéline par la taille pour qu’elle attrape la corde le plus haut possible.

Elle fit preuve d’une célérité remarquable et Adalbert la suivit. Il était plus que temps : les deux dogues étaient déjà sur eux et Vidal-Pellicorne laissa un morceau de son pantalon dans la gueule de l’un d’eux, mais en un clin d’œil ils furent de l’autre côté du mur en prenant soin de récupérer la corde. Sans s’attarder à regarder derrière eux, ils se précipitèrent dans le bois. Encore un instant et ils retrouvaient la petite route qu’ils dévalèrent, moteur éteint, freins desserrés jusqu’au village, hors de portée des regards des occupants d’Urgarrain. En dépit de la rapidité de leur fuite, ils avaient perçu les deux coups de fusil tirés dans leur direction.

— Une maison vide, hein ? ragea Marie-Angéline.

— Ce n’était qu’une impression… Et puis il n’est pas défendu de rêver !

Ils restèrent un long moment, assis dans la voiture, à écouter décroître les battements de leurs cœurs. Finalement, elle soupira :

— On ferait mieux de rentrer. Nos dames ont dû entendre les détonations et se font certainement du souci.

Pour seule réponse, Adalbert mit la voiture en marche et l’on revint à Saint-Adour. Comme prévu, on les attendait dans l’anxiété. Craignant que l’un d’eux ne fût blessé et que celui-là fût Vidal-Pellicorne, Prisca avait fait préparer une chambre :

— Vous n’allez pas rentrer cette nuit à Biarritz ! déclara-t-elle. Ainsi vous aurez la récompense de voir ce damné château au grand jour.

Fatigué, il accepta et l’on se retrouva dans la cuisine pour une tournée de vin chaud aux herbes de la montagne dont Honorine conservait jalousement le secret.

— C’est à la fois apaisant et réconfortant, annonça-t-elle.

— De toute façon c’est très bon ! apprécia Mme de Sommières, qui cependant ne buvait jamais que du champagne. Au fait, Adalbert, avez-vous eu des nouvelles d’Aldo depuis son départ ?

— Aucune. Et vous pas davantage à ce qu’il semble ?

— Aucune non plus mais il ne comptait pas en donner puisqu’il est rentré uniquement pour détourner de nous l’attention des bandits et que vous puissiez mener à bien votre projet. Avez-vous réussi à visiter la maison de la dame belge ?

— Eh non ! ragea-t-il. Voilà des jours que je la promène dans tous les restaurants élégants et j’attends encore son invitation. Qui n’est pas près de venir, à mon avis.

— Pourquoi ?

— Elle prétexte que la bienséance s’oppose à ce qu’elle reçoive un homme seul tant que sa fille est à la clinique. Et la délicieuse Agathe ne souhaite pas en sortir de sitôt afin d’être à l’abri des voies de fait du baron Waldhaus. Idempour les réceptions. D’autre part, ne connaissant pas la configuration intérieure de la Villa Amanda, je me vois mal m’y introduire. Surtout sans protection extérieure, et Aldo est à Paris… Alors je tourne en rond !

— Adalbert, mon ami, vous êtes un âne ! affirma soudain Plan-Crépin après avoir siroté son vin jusqu’à la dernière goutte avec une évidente satisfaction.

— Oh, s’insurgea sa patronne. Vous perdez la tête, ma parole ? Comment osez-vous l’apostropher de la sorte ? Un peu de respect, que diable ! Ce n’est pas parce que vous venez de courir une aventure ensemble que vous pouvez vous permettre…

— Aurions-nous préféré que je lui dise qu’il s’engourdit dans le chocolat ? Que ses facultés ne sont plus ce qu’elles étaient ou qu’il vieillit ?

Trop suffoquée pour réagir, Mme de Sommières ne trouva rien à répondre. Quant à Adalbert, plus vexé que peiné, il répliqua :

— Eh bien, merci, Marie-Angéline ! Au moins me voilà fixé sur ce que vous pensez de moi !

Elle lui adressa un sourire bourré de malice.

— N’en croyez rien. Ce n’est vraiment pas ce que je pense de vous, à la seule exception que le divin chocolat Timmermans me paraît devenu le philtre magique d’une Yseut frisant la septantaine ! Je me demande si elle n’aurait pas dans l’idée de vous épouser ? D’où ce souci des convenances. Voyez Marie Tudor et Philippe II d’Espagne.

— Je n’ai rien d’un Habsbourg et elle n’est pas laide !

— Nous nous égarons ! coupa la marquise. Où voulez-vous en venir, Plan-Crépin ?

— Ne cherchez pas, marquise, Mlle du Plan-Crépin doit penser qu’elle serait plus habile que moi !

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